LES ANARCHISTES ET L’EDUCATION SOUS JULES FERRY (1880-1914)

Les années qui vont du vote des lois de Jules Ferry à la Grande Guerre de 1914 furent incontestablement celles où le mouvement anarchiste, en France, connut sa période la plus florissante, et où son influence et son importance sur la scène politique furent les plus importantes. Certes, en France et ailleurs, les anarchistes se sont toujours préoccupé du problème de l’éducation, qu’ils placent au cœur de la question sociale. Mais plus encore qu’à d’autres moments, le thème de l’enfant, de l’école, de l’instruction est alors abordé d’une manière récurrente tant dans les journaux que dans les livres édités par le mouvement libertaire.

La critique de la laïcité républicaine

Les préoccupations des « compagnons », comme on les nommait alors, s’inscrivaient indiscutablement dans le débat qui, tout au long du XlXe siècle, avait l’enfant et l’école pour enjeu ; courant qui animait, en vérité, toutes les forces politiques progressistes ou « rétrogrades » du moment. L’école que Jules Ferry et ses collaborateurs avaient mise en place, était pour les libertaires condamnable à plusieurs égards. Pour eux, le système scolaire républicain ne prenait pas en compte les besoins de l’enfant, ne cherchait pas à développer sa personnalité, mais au contraire tendait à l’uniformité des individus et préparait à l’inégalité sociale.

Ce système absurde, qui farcit les cerveaux de préjugés et truffe les consciences de devoirs est inacceptable pour des générations vivant au siècle de la vapeur et de l’électricité, écrira ainsi le militant pédagogue Sébastien Faure(1). Mais le discours anarchiste ne participait pas uniquement de la critique de l’école officielle, bien au contraire. Depuis les origines, l’anarchisme avait affirmé des conceptions éducatives particulières, et il s’agissait également de les mettre en avant et de les faire connaître. Aucun des théoriciens de l’anarchisme en effet (Stirner, Proudhon, Bakounine) n’avait oublié d’accorder une place de tout premier plan à l’éducation, jugée indispensable à la réalisation d’une société nouvelle ; place que les compagnons reprenaient à leur compte dans leur propagande. Le maître mot en est la liberté. La liberté par l’enseignement sera d’ailleurs le titre d’une des premières brochures éditées par un groupe de compagnons (et cosignée par Louise Michel, Élisée Reclus, Léon Tolstoï) en 1898.

Liberté la plus grande possible laissée à l’enfant, par opposition au « carcan » proposé par le système institutionnel. Par conséquent, l’adulte n’est plus un maître mais un guide, qui aiguille le jeune afin de le faire profiter au mieux de cette toute nouvelle liberté. Car l’enfant qui est considéré comme un individu à part entière, dispose selon les compagnons dès le départ d’aptitudes très riches.  » Laissez les enfants libres, écrit le hollandais Domela Nieuwenhuis, car l’enfant apprend à penser à comparer, à juger par lui-même. » (2)

Le contenu de l’enseignement préconisé par les anarchistes, car il y en a un, est celui de l’enseignement intégral que les anti-autoritaires dès l’époque de la Ière Internationale avaient conçu. Enseignement universel, rationnel, à la fois manuel, physique, intellectuel et moral, faisant une large place aux matières scientifiques, au développement du goût esthétique et à l’hygiène de vie, et préparant à la formation de l’homme « complet ».

Une très grande place également est faite à l’éducation morale, puisque l’éducation n’est pas conçue comme synonyme d’enseignement ou d’instruction, mais bien comme formation de l’individu. L’éducation morale se réalise donc dans un milieu ambiant harmonieux, en dehors bien sûr de tout enseignement religieux, et par la pratique de la coéducation des sexes. La mixité tient à cœur les compagnons car, comme l’écrivent abruptement Degalvès et Janvion (qui créèrent en 1897 une école libertaire) « une agglomération unisexuelle, cela sent le couvent et la caserne. » (3)

De1895 à 1914 en particulier, les compagnons multiplient les actions en faveur de l’éducation : création de bibliothèques, organisation de cours du soir, pique-niques dominicaux avec les enfants, expériences éducatives… Certains participent aux Bourses du Travail, mouvement animé par Fernand Pelloutier, dont la devise était « instruire pour révolter ». D’autres suivent les conférences des Universités populaires. D’autres encore (les individualistes) créent des « causeries populaires », dissidentes. Les écrits des compagnons traitant de l’éducation libertaire ou abordant la question de l’école foisonnent. Ils attestent d’un intérêt marqué et de plus en plus prononcé pour tout ce qui concerne l’enfant et sa formation, ainsi que de la recherche de moyens adaptés à cette formation.

Rares sont alors les numéros du Libertaire ou des Temps nouveaux, qui ne traitent de l’éducation libertaire en général ou de questions particulières en rapport à ce sujet. Rares sont les conférences qui n’abordent pas cette question. Rares enfin sont les brochures, les ouvrages, qui ne se penchent sur le sujet.

La recherche de moyens adaptés

Les anarchistes comprennent très vite qu’ils ne peuvent donner un enseignement différent de l’instruction officielle sans outils appropriés : notamment des livres, manuels scolaires ou littérature enfantine. Dans les journaux, ce souci apparaît surtout dans le courrier des lecteurs. Un militant écrit ainsi aux Temps nouveaux : des ouvrages pour les enfants dans le sens de nos idées, je n’en connais pas (4). Un autre réclame : des images d’Épinal, où des légendes et des critiques détruiraient quelque peu le patriotisme, l’esprit religieux et le principe d’autorité (5). Ce problème est très souvent évoqué.

En 1901, la revue L’Education libertaire lance même une enquête sur les écrits destinés aux enfants, envoyée aux écrivains qui s’intéressent aux questions d’éducation. Elle les interroge aussi bien sur le fond, la forme et le style que doivent selon eux présenter ces écrits. Le groupe de l’Ecole libertaire, qui s’est constitué à Paris pour tenter de créer une école, manifeste également son souci de faire des livres  » conçus ou établis de façon à ne fournir à l’enfant que des faits positifs » (6).

Le fait est que si les catholiques, à cette époque, lancent régulièrement l’offensive contre le contenu des manuels scolaires républicains, les compagnons ne trouvent leur compte ni dans ceux des uns, ni dans ceux des autres. Ils se livrent à leur propos à des critiques virulentes. En 1903, par exemple, la revue L’Education intégrale n’hésite pas à classer les livres scolaires en bons, plutôt rares et que les libertaires eux-mêmes ont écrits, et en mauvais, la « place d’honneur » étant réservée à ceux de Maurice Bouchor. Le problème du contenu se pose en priorité pour les livres d’histoire, empreints d’après les libertaires de chauvinisme et de xénophobie. On y préférera l’Histoire de France et de l’Europe illustrée de Gustave Hervé, dont le sous-titre semble plus explicite : L’enseignement pacifique par l’histoire. L’enseignement des mathématiques et des sciences préoccupent également beaucoup les compagnons. Il a une place prédominante dans l’éducation libertaire, entre autre parce que l’on considère que « l’étude de l’arithmétique est l’un des plus puissants moyens d’inculquer aux enfants les idées fausses du système capitaliste ».

C’est particulièrement Charles-Ange Laisant, ancien polytechnicien proche des milieux libertaires, qui s’attachera à rendre l’enseignement scientifique attrayant. Son ouvrage -l’éducation fondée sur la science (1904)- comprenant une initiation aux mathématiques et à l’étude des sciences physiques est un véritable manuel d’enseignement faisant preuve d’une remarquable connaissance de la psychologie de l’enfant de la part de l’auteur.

De nombreux échanges au sujet de ces ouvrages eurent lieu avec les écoles rationalistes que Francisco Ferrer et ses compagnons créaient alors à Barcelone et en Espagne. En 1904, la Ligue pour la défense voit le jour. Son but : publier pour les enfants des ouvrages conçus suivant des méthodes scientifiques basées sur l’observation, l’expérimentation et l’examen critique même de l’élève. Les manuels scolaires conçus par des libertaires semblent pourtant avoir été assez rares. Beaucoup plus rares en tout cas que les ouvrages de fiction. Certains militants se lancent en effet dans l’écriture à destination des petits. Dès les années quatre-vingt Louise Michel avait rédigé des contes pour enfants, comme l’histoire de La vieille Chéchette.

En 1901, Jean Grave, le rédacteur des Temps nouveaux, écrira notamment : Les Aventures de Nono. Nono s’étant perdu se retrouve dans les pays de l’Autonomie où il est recueilli par la fée Solidaria et où il croise Liberta. Une façon comme une autre de décrire la société idéale…

La place de la littérature enfantine

Le même esprit anime les Contes néo-calédoniens de Charles Malato, Jacques et Marthe de René Chaughi ou les contes pacifistes de Madeleine Vernet et d’Albert Thierry. La production reste cependant limitée : c’est pourquoi les anarchistes sélectionnent quelques auteurs jugés intéressants pour les enfants. C’est ce que fera en particulier Jean Grave en publiant à trois reprises des recueils de contes. Au côté de ses propres textes, y figuraient ceux d’écrivains plus célèbres, dont certains, le plus souvent anglais, sont traduits. Au palmarès figurent bien sûr Tolstoï, mais aussi Andersen, Grimm, ou encore William Mords et Oscar Wilde. Les compagnons attribuent de l’importance à l’image et les écrits sont toujours illustrés. On fait appel pour cela à des artistes anarchisants ou militants convaincus : Maximilien Luce, Steinlein, Hermann Paul, Pissaro et d’autres.

Quelquefois même l’image se suffit à elle-même.

En 1898, une planche intitulée Chauvinard, à destination des enfants, inaugure  » L’Imagerie des Temps nouveaux « . Son dessin, signé Lapiz, aussi bien que ses légendes, sont aussi subjectifs que son titre. Enfin, certains écrivirent des chansons enfantines, dont les vertus pédagogiques étaient particulièrement appréciées. Louise Quitrine compose des Rondes pour récréations enfantines, Sébastien Faure publie un recueil à l’intention des tout petits et surtout sa composition l’Internationale des enfants.

Imagerie des Temps nouveaux — Planche n° 1

Chauvinard

1. Chauvinard tire au sort
2. Le jour du départ arrivé, les parents commencent à s’apercevoir que la Mère-Patrie prend plus qu’elle ne donne.
3. Chauvinard commence à prendre un avant-goût du troupeau.
4. Il s’initie aux intelligentes manœuvres et à la politesse militaire.
5. Il s’habitue de plus en plus à être mené en troupeau comme le bétail.
6. Et aux longues stations stupides.
7. L’État lui sert généreusement la pâtée.
8. Mais la cantine est là pour aider à l’abrutissement.
9. Aux colonies, il est un héros !
10. Mais le nègre est un animal méchant qui, parfois, se défend.
11. Sa maigre pension étant insuffisante, il mendie.
12. Les gendarmes l’arrêtent.
13. Emprisonné, il commence à comprendre que l’organisation sociale ne profite aux uns qu’au détriment des autres.
J. GRAVE, Imprimeur-Éditeur, 140, rue Mouffetard, Paris.

Les publications pour enfants

A l’époque du Magasin d’éducation et de récréation et de La semaine de Suzette, les anarchistes souhaitent bien sûr avoir un journal pour les enfants. Jean-Pierre, bimensuel de 1901 à 1904, est très souvent cité dans les journaux libertaires et conseillé pour les jeunes.

Ce n’est cependant pas l’œuvre des militants qui jusque-là se sont préoccupés d’éducation dans le mouvement. Mais certains y écrivent (André Girard, Paul Robin, Georges Darien) et beaucoup le donnent à lire à leurs enfants. Jean-Pierre est en fait le petit frère des Cahiers de la Quinzaine. Ce sont les socialistes Robert Debré, Jacques et Raïssa Maritain, chapeautés par Charles Péguy à l’époque où il côtoyait Maurice Reclus, qui lancèrent le journal. Des contes y côtoient des devinettes, des jeux et des dessins, d’une forte charge idéologique : Le lecteur averti de Jean-Pierre ricanait sur la Sainte-Vierge, criait Croa ! Croa ! en passant devant les églises, et jetait à l’égout les humbles soldats de plomb, cadeau d’une grand-mère non évoluée, racontera un des biographes (par ailleurs maurassien) de Péguy (7).

Jean-Pierre remporta, à ses débuts, un grand succès ; mais après différents déboires, et l’intérêt diminuant des Maritain, précédant déjà Péguy sur le chemin de la conversion au catholicisme, le journal cessera de paraître. Sept ans plus tard, un journal du même type naîtra à son tour, et qui affirme sa filiation avec Jean-Pierre. C’est cette fois-ci, dans le sillage du syndicalisme révolutionnaire, dans les locaux de la Vie ouvrière fraternellement offerts par Monatte, que paraissent Les Petits Bonshommes, de 1911 à 1914. Jean Grave, Madeleine Vernet, André Girard, Charles-Ange Laisant participent à cette revue aux côtés de la Ligue pour la protection de l’enfance, de responsables syndicaux comme Maurice Dommanget ou d’instituteurs proches de la revue l’École émancipée. Les compagnons, enfin, penseront à se pourvoir de revues pédagogiques. C’est tout d’abord l’Éducation intégrale, de Paul Robin, qui paraît irrégulièrement de 1895 à 1906 : on y aborde les langues systématiques, l’enseignement de l’histoire, la coéducation…

Puis l’Éducation libertaire, qui reflète mieux la composante du mouvement : on y retrouve, de 1900 à 1902, les rédacteurs des Temps nouveaux et du Libertaire, mais aussi des anarcho-syndicalistes comme Yvetot ou Delesalle.

L’éducation libertaire et les institutions

L’école républicaine se voit régulièrement fustigée dans les colonnes de tous les organes de presse libertaires, et ce, dès le début de la laïcisation en 1881. Cette école, instrument de la bourgeoisie, qui a remplacé l’amour de Dieu par celui de la République et de la patrie, ne mérite pas d’être défendue. Le journal l’Anarchie ne manque pas une occasion de blâmer les  » abrutisseurs « , et de crier :  » A bas la laïque ! « .

Cependant, à l’intérieur de chaque journal, des différences d’opinion se font malgré tout sentir, et s’expriment. Le Libertaire accueillit tout au long de l’année 1908 des avis discordants et fit s’affronter dans ses colonnes partisans et adversaires de l’école laïque (8). Et quand l’institution républicaine se trouve menacée lors de campagnes orchestrées par les cléricaux (ennemis prioritaires des anarchistes), les compagnons soutiennent cet acquis minimum qu’est la laïcité scolaire.

Ainsi, quand l’affaire des manuels bat son plein en 1909, une bonne poignée de militants, dont Sébastien Faure et Madeleine Vernet, prendront ouvertement parti, malgré tout, pour l’école laïque. En dehors des attaques de principe contre l’école officielle, ce sont les méthodes et les contenus qui sont visés. Une pédagogie beaucoup trop magistrale, qui rend l’enfant soumis et docile.

Des contenus dont les valeurs (autorité paternelle, amour de la patrie et de l’argent) sont encore et toujours à dénoncer. Tout en critiquant cet enseignement, les compagnons mettent l’accent sur des thèmes qui leur tiennent particulièrement à cœur, et qu’ils traitent régulièrement dans leurs revues : par exemple la science, dont la connaissance rend l’élève inéluctablement rationaliste et indépendant d’esprit. Ou encore la mixité et la coéducation des sexes, qui seules permettront aux hommes et aux femmes de vivre un jour sur un pied d’égalité. Certains outils de l’école officielle sont très largement responsables, d’après les libertaires, de son ineptie. Les manuels scolaires, comme on l’a vu, mais aussi l’orthographe. Certains compagnons se sont toujours montrés hostiles à l’écriture académique. Au début du siècle, les articles favorables à une réforme de l’orthographe se multiplient, prônant une simplification extrême. La militante individualiste Anna Mahé fera de cette lutte son « cheval de bataille » et en 1904 elle écrira de nombreux articles en « ortografe simplifiée » dans le Libertaire et dans l’Anarchie.

Le combat pour la défense de l’enfant

Mais l’enfant intéresse les anarchistes bien au-delà du problème de sa scolarisation. Les occasions sont nombreuses de parler de son éducation au sens large et de dénoncer les abus de la société à son égard. André Girard particulièrement, dans les Temps nouveaux, mène une véritable croisade contre les parents autoritaires. A grands renforts de faits divers empruntés à la presse nationale (notamment sur les suicides d’enfants), il dénonce la misère morale engendrée selon lui par une éducation paternelle tyrannique. Le thème de l’Assistance Publique également, est abordé régulièrement. Le 23 octobre 1897, a lieu rue du Temple à Paris une conférence sur ce sujet : « Il s’agit de savoir si l’Assistance publique a seulement pour but de dilapider des centaines de mille francs, pour engraisser les ronds de cuir « , écrit les Temps nouveaux. Les compagnons dénoncent la misère des jeunes vagabonds et des jeunes orphelins et s’insurgent contre l’Assistance publique qui ne remplit pas, selon eux son rôle. En matière de cruauté subie par les enfants, le paroxysme est alors atteint avec ce que l’on appelle à l’époque les  » bagnes d’enfants « . Ils sont encore un certain nombre, en France, dont le fonctionnement et les méthodes n’ont rien à envier à leur grand frère de Cayenne. Les journaux anarchistes rappellent souvent à leurs lecteurs l’existence de ces horribles pénitenciers. Ils relayent encore davantage l’information lorsque des scandales éclatent. En 1898 et 1899, des révélations sur le régime répressif en vigueur à la colonie d’Ariane (Hérault) provoque un scandale, entraînant à son tour les jeunes dans les centres du Val d’Yerres puis d’Eysses.

Une campagne est lancée, à laquelle les compagnons se joignent avec ardeur. Dix ans plus tard ils reprendront le flambeau, pour dénoncer les  » tortionnaires d’enfants  » qui sévissent à la colonie de Vermineaux et à celle de Mettray, et pour soutenir la révolte des jeunes de la colonie de Belle-Ile.

L’éducation libertaire et son époque

Les écrits sur l’éducation et les actions menées en ce sens à la Belle Époque par les anarchistes se présentent donc comme un formidable foisonnement d’idées et d’actes, en quête de la formation idéale qui mènera l’homme à la transformation du Vieux Monde, mais aussi qui le préparera à vivre dans la société future, libertaire, tant désirée.

Quoique le plus souvent en rupture avec le discours dominant de l’époque, les idées des compagnons en matière d’éducation sont pourtant marquées par le sceau de l’idéologie du XIXe siècle, qui voit dans la science la réponse à tous les problèmes, et qui lui donne un aspect suranné aujourd’hui. L’enseignement scientifique en effet fut démocratisé tout au long du XXe siècle, comme le souhaitaient les républicains, mais aussi les anarchistes. Et il est devenu, par une sorte d’effet pervers, un critère de distinction de classes et de réussite sociale, contrairement à leur attente.

De même les compagnons, s’ils s’évertuent à casser le modèle dominant la famille, reprennent à leur compte celui de l’école et se révèlent pour la plupart incapables de concevoir un acte éducatif organisé en dehors du cadre scolaire ; cadre qui n’est autre finalement que celui choisi par la bourgeoisie, au XlXe siècle, pour adapter l’enfant à ses valeurs.

Les idées anarchistes n’en sont pas néanmoins, par d’autres aspect étonnamment modernes et en avance sur leur temps. Coéducation des sexes, apprentissage et orientation professionnelle, école ouverte, méthodes actives, importances de la petite enfance, du jeu, pas un de ces nombreux sujets qui n’ait été abordé, théorisé, développé en effet par les compagnons bien avant qu’ils deviennent habituels et communs. Mais c’est surtout dans son rapport à l’enfant que l’anarchisme fait preuve d’originalité et de modernité à l’époque. Celui-ci n’est pas conçu en effet comme un petit homme ou une petite femme mais comme un individu à part entière, qui joue son propre rôle dans son éducation, qui est acteur de sa vie dès son plus jeune âge.

On comprend mieux alors mieux pourquoi la « Belle Époque » peut être considérée véritablement comme ayant été « l’âge d’or » de l’éducation libertaire.

L’éducation en tant que projet global d’émancipation individuelle et sociale se trouve, en tout cas, au cœur des débats, et se révèle comme inhérente aux « doctrines » anarchistes, et totalement intégrée aux démarches des libertaires. L’éducation est bel et bien le facteur d’évolution alors le plus important à leurs yeux.

C’est elle qui, comme l’a développé Élisée Reclus dans L’évolution, la révolution et l’idéal anarchique, permettra que les révolutions soient « faciles et pacifiques « .

Nathalie Brémand


(1) Sébastien Faure, La Douleur universelle (rééd. 1895), Paris 1921, p. 349.

(2) Domela Nieuwenhuis, L’Education libertaire, Aux Temps nouveaux, Paris,1900, p.14.

(3) Jean Degalves, Émile Janvion,  » L’Ecole libertaire « , in L’Humanité nouvelle n° 2, juin 1897, p. 217.

(4) Jean Degalves, Émile Janvion,  » L’Ecole libertaire « , in L’Humanité nouvelle n° 2, juin 1897, p. 217.

(5) Les Temps nouveaux n° 26, 23-29 août 1897.

(6) Les Temps nouveaux n° 51,16-22 avril 1898.

(7) René Johannet, Vie et mort de Péguy, éditions Flammarion, Paris, 1950, p. 125.

(8) Mona Ozouf,  » La presse ouvrière et l’école laïque en 1908 et 1909 « , in Le Mouvement Social n° 44, juillet-sept. 1963 p. 162.

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